Olivier Domerg

Trêve de Boucq

“Boucq”, me renvoie directement à “Port-de-Bouc”, la ville voisine de celle où je vis ; et à son NOM, que je remâche depuis quelques jours, à défaut d’y être aller, d’avoir pu m’y promener et y passer du temps. Et, en l’absence (volontaire) de toute autre information qui viendrait l’étayer un peu, lui donner couleur et consistance, vous comprendrez que je m’en tienne au NOM, comme une chèvre à son piquet (Ou, plus osé, comme un bouc au cap de la Chèvre) !

Et sache, Boucq, que ton NOM m’est « éminemment sympathique », parce qu’il me fait penser, évidemment, au mot « bouquin » ; à ceux qu’on lit et à ceux qu’on écrit (« bouquins », sans qui la vie d’un poète ou écrivain ; ou, plus généralement, la vie d’un simple quidam ou citoyen ; serait beaucoup moins savoureuse et signifiante), et aussi, à cette autre anecdote, qui, lors d’une lecture à la médiathèque B. Vian, m’avait fait comparer, les habitants de ma ville, si ignares et illettrés, aux, bien nommés, port-de-boucains, que j’entendais – “port de bouquins” –, et que je me représentais, toujours un livre en main, ou le nez dedans, et ne jurant que par lui !

Mais, hormis cela, chers habitants de Boucq, très chers boucquins, on ne se connaît pas, et je ne sais donc rien de votre bourg ni rien de vous, et vous comprendrez que je ne puisse prétendre montrer une quelconque familiarité avec le lieu où vous vivez et habitez, tant que je n’y aurai pas été ! Qui plus est, moi dont le travail, depuis trente ans, est d’écrire sur les lieux (et sur tout ce qui se rapporte à la question du paysage), je me refuse à écrire sur un lieu où je ne suis jamais allé, en chair et… EN OUTRE ! Cela contreviendrait au principe même de mon écriture, qui est, non pas de « rêver sur les lieux », mais de me confronter à eux, physiquement et sensoriellement ! D’éprouver pleinement tout le sel de leur réalité ! Et, d’expérimenter, en eux et à travers eux, une poésie qui soit tout sauf « hors sol » !

Alors, bien sûr, j’aurais pu tout à fait me couler, non sans morgue ni honte, dans ce vulgaire exercice qui consiste « à parler d’une chose qu’on ne connaît pas » ; à en parler, à plus forte raison, parce qu’on ne la connaît pas (Beaucoup s’y livrent avec délice, et parfois même, avec talent) ! Alors, bien sûr, j’aurais pu rêvasser sur un fragment de carte, ou quelques éléments facilement trouvables ou troussables, le fantasme d’une étymologie ou d’une localisation ! J’aurais pu faire preuve, en l’occurrence, « d’imagination » et « d’esprit d’invention » (Et, croyez bien, chers boucquins, que je n’en manque point) ! J’aurais pu, tout aussi bien, m’en tirer par une ou deux blagues et deux-trois pieds de nez ; ou vous dire que, pour moi, « à l’EST, TOUT EST NOUVEAU ! » ; puisque je n’ai jamais eu le plaisir ni l’avantage de mettre les pieds, ni même la pointe d’un orteil, dans votre coin, votre région, ni votre contrée ! J’aurais pu faire appel, tout autant, à ma “fantaisie naturelle” et à quelques “jeux de mot” ou “de langue” bien sentis, qui auraient pu me faire un peu mieux « sentir Boucq », à défaut de « sentir le bouc » (Oui, ce texte est, somme toute, assez puant) ! Mais, je m’y refuse catégoriquement ! Car ce serait nier tout ce que je suis et tout ce que je tente d’écrire depuis le commencement. Et, plus encore, et surtout, car cela entamerait pour moi la possibilité de Boucq ; autrement dit, la chance d’y venir un jour prochain et de le découvrir, d’un œil neuf et d’une plume attentive, comme lors d’une toute première rencontre.

Trêve de Boucq ! Invitez-moi, une autre fois, une nouvelle fois, et je m’engagerai peut-être à écrire sur votre bourg, un texte qui ne devra rien à la pandémie ni à la fantaisie, mais qui devra tout à l’expérience de Boucq et à sa réalité ! La balle est lancée ; la balade, à votre discrétion !

Martigues, le 6 juin 2020