6 mai 2021 – Laure Gauthier
Une clairière quand même
Sous les feuilles contre ta peau, pensait alors mélusine s’adressant à raymondin qu’elle aurait rencontré, il y avait un tapis de mousse possible, près d’une fontaine nouvelle qui ne prétendait rien et qui tarirait peut-être. Surplombés par des stratus découpés, nous aurons fait bouche commune, bu à la même source avec l’avidité de ceux qui croient étancher les violences du monde. Comme tous les amoureux avant et après nous, nous aurons été un instant présents, puissamment impuissants. Le monde avance d’empreintes en empreintes, il vacille en avant sans savoir.
Tu ressens une légère inquiétude, m., en pensant à ce moment où tes reins auront ployé sous les reins de r. où chacun ne reconnaîtra plus les siens. Tu penses à ce présent à venir qui aura été, votre présent passé à venir, en léger hors-chant du monde. Alors, vous aurez chu dans un des plis du monde qui s’ouvrira, un pli possible car le monde même malade s’ouvre toujours à qui sait l’entendre. Alors, vous serez hirsutes et sans plan, à construire des phrases sur pilotis dans une petite éternité sans début ni fin.
Alors que vos reins auront creusé le sol, et que ton petit doigt, m., auras creusé la mousse jusqu’à la terre du dessous au moment de connaître le plaisir humain, ta queue ouvrira la terre plus encore, dans ses plis et replis, entraînera r. dans une nouvelle étreinte avec embruns dans la glaise du dessous. Vos corps marqueront des feuilles de vignes vivantes dans la terre, une crête courante, oblongue et dressée sillonne la glaise et la marque, surgit sur d’autres creux, tortueuse, accidentée, à côté, un début une autre marque court depuis le sillon, comme un bâton poursuivi par deux béances rondes, coques fragiles sans épines. Une empreinte fragile, éphémère et humide. Une clairière quand même.
Extrait de mélusine reloaded, travail en cours
ponton 449
Poète et autrice multimédia, Laure Gauthier conçoit ses textes comme des espaces de vigilance. Elle y interroge à la fois la place de la sensibilité, notamment de la voix et du toucher, dans un monde ultra-rationalisé et la place du document et de l’archive dans l’expérience de la violence individuelle et politique. Elle publie régulièrement en revues, et récemment : kaspar de pierre (La lettre volée, 2017) et je neige (entre les mots de villon) (LansKine, 2018). En février 2021 sort l’album transpoétique Éclectiques Cités chez le collectif Acédie58 et en septembre 2021 paraîtra chez LansKine son cinquième recueil, les corps caverneux. Ses textes ont une dimension polyphonique qui permet de créer un écart vigilant entre les perspectives singulière et collective. Ce travail se poursuit par différentes collaborations avec des artistes contemporains notamment dans le domaine du son.