3 juin 2022 – Milène Tournier

Je t’aime comme une chartreuse

Je t’aime comme une chartreuse.
Je t’aime comme un jour quitter le grand jour du monde, pour le corps entre pierres et prières.
Je t’aime comme, une fois dans la chartreuse, le parking de la chartreuse n’est pas moins le reste du monde que le reste du monde.
Je t’aime comme le plongeon que suscite et nécessite chaque vocation, mais je t’aime comme l’hésitation désigne déjà dieu.
Je t’aime comme un matin être sure, laisser dans son dos les autres routes et les chemins. Entrer.
Je t’aime comme quitter ses pieds rouges et profanes, pour la petite cellule calme.
Je t’aime comme dédier ici, à Dieu, ses prochains jours et chaque nuit.
Je t’aime comme la lumière cloîtrée laisse libre cours aux rêves des chartreux.
Je t’aime comme le vitrail rond, désormais soleil et gouvernail.
Je t’aime comme croire en Dieu, comme la mère de l’enfant sans visage le trouve très beau.
Je t’aime comme les épaules des moines au-dessus des bibles le soir.
Je t’aime comme petite extase dans la chambre.
Je t’aime comme les mains très jointes des pierres.
Je t’aime comme on rêve d’un Dieu qui nous renverse et rive au sol. Mais souvent c’est le long carmel des jours.
Je t’aime comme l’effroi et le vertige entre les pierres claires du prieuré.
Je t’aime comme on est un vide qui a besoin de vide.
Je t’aime comme la vie pré-cléricale est un plafond peint dont la mémoire doucement s’efface.
Je t’aime comme un jour on n’a même plus besoin de se souvenir pourquoi on est là, dans le jardin des simples ou du procureur. On a la peau, la lumière et la foi. On sait que n’est pas plus libre la rose dehors que celle qui pousse sous serre.
Je t’aime comme l’hôtel à insectes et majesté dans la chartreuse.
Je t’aime comme se lève doucement le soir sur les murs de la chartreuse puis sur la ville.
Je t’aime comme arrivera, après le soir, l’hiver, qui isolera un peu plus les pierres des chartreux. L’olivier chantera moins tard au matin des pierres.
Je t’aime comme en mourant le vieux chartreux ouvre sa dernière paupière et voit entre les pierres s’être envolé l’oiseau.

Milène Tournier est née en 1988, elle écrit des œuvres de théâtre et de poésie. Elle a publié récemment aux éditions Lurlure L’Autre jour (Prix révélation Poésie SGDL 2021) et Je t’aime comme. Et aussi : Et puis le roulis (Éditions Théâtrales), Nuits (La P’tite Hélène) et Poèmes d’époque (Décharge/Gros Textes).

Elle élabore régulièrement des poèmes-vidéos qu’elle diffuse sur sa chaîne Youtube. Ainsi le vidéo-poème de Je t’aime comme une chartreuse est visible sur ce lien : https://youtu.be/hEjuSWsHEfo.