1 juin 2022 – Nicolas Grégoire

Écrire à Murambi

Reprise. Sentiment que l’échec se joue déjà d’avance mais écrire au moins. Épuisement aussi face aux lieux, Murambi ayant été très loin dans la douleur.

« Écrire avec » : sans doute la place où mieux tenir. Écrire avec le génocide et avec soi. Sans mettre du tout « je » et génocide sur le même plan mais en se positionnant à partir de soi, sans prendre la place des rescapés ou des victimes. Hors de cette position, ce ne serait qu’imposture, je ne peux que tenter d’écrire avec la mémoire du génocide.

Cette dame qui accueille le tueur de son fils dans sa maison, jusqu’à l’adopter, jusqu’à dire que l’amour qu’elle avait pour son fils, c’est son exécuteur qui en a désormais le plus besoin, peut-on aussi l’imaginer malgré tout ?

Murambi. Les images sont nombreuses, elles transmettent l’horreur du cadavre recouvert de chaux mais leur multitude ne finit-elle pas par nier les corps, les transformant en simples objets du lieu ? Les morts devenant ainsi témoins non pas du génocide et de leur passé d’êtres vivants mais du passage, de l’épreuve, du visiteur-photographe accomplissant son « devoir de mémoire ». Bien sûr, chaque personne qui se rend à Murambi n’y va pas en considérant le lieu comme un « site à voir » (haut-lieu) du génocide mais pour sans doute chercher à comprendre et donc, en publiant ses photos, souhaite tout simplement témoigner. Mais les points de vue étant souvent les mêmes, le lieu ne devient-il pas seulement qu’un cliché, un « non-lieu » ?

Et les mots répétés ?

À Murambi, le paysage est mémoire. Si à Nyamata c’est le manque d’horizon qui écrase, à Murambi il est de trop, il a participé à l’entreprise d’extermination. La colline de Murambi a été choisie justement parce qu’elle était entourée d’autres collines, plus hautes. Impossible de s’échapper sans être vu. Lorsqu’on sort de la première salle de classe, on regarde ces collines pour reprendre son souffle, on tente de chercher du beau, mais si les collines portent la vie, sans doute la même vie, répétée, laborieuse, de toutes les collines du Rwanda, sous le regard, sous les chants qu’on entend au bord du mémorial, c’est la mort qui fut portée en 1994.

Reprise des photographies de Murambi. Post-traitement via Lightroom. Questions qui se posent, comme pour les poèmes. Dès le cadrage pourtant, l’œil rend, modifie les lieux, pour n’imposer qu’un regard. Le traitement monochrome, avec accentuation des contrastes, rend les images plus fortes. Il s’agit toujours des simples photographies prises avec le Coolpix mais elles sont sans doute ainsi moins quelconques. Cependant, jusqu’où aller étant donné le lieu exposé sur l’image ? Je n’aurai jamais le regard qu’auront pu porter les victimes de Murambi sur ces paysages mais puis-je y poser le mien de telle manière ?

Et « je », mes mots écrits dans un livre de poésie ? Ils sont aussi cadrés, mis en lumière, plus ou moins isolés sur la page. Comme Peress ou Majoli, je ne suis qu’un tiers qui a accès, avec un net confort, aux lieux du génocide. Bavarder pour justifier sa position ne change que peu celle-ci. Voix de cette femme de Nyamata en écho : « si tu as fini, tu peux partir ». Elle hante, elle n’a que faire de ma honte ou de ma culpabilité. Reste à trouver le point d’équilibre, se taire et dire d’où (avec ce que) je suis, veiller à ne pas basculer plutôt qu’écrire, quand l’usure ne l’emporte pas. Est-ce mieux ainsi ? Je ne sais pas.

Texte inédit.

Nicolas Grégoire est né en 1985. Il vit et travaille comme instituteur en Belgique. Ses publications : ses restes / en somme, Le Taillis Pré ; d’être et de tête, Le Taillis Pré ; face à / morts d’être, Centrifuges ; s’effondrer sans, Æncrages & Co ; travail de dire, Rougerie ; désastre ravalé ravaler désastre, Æncrages & Co.

Le Centre commémoratif du génocide de Murambi est un site situé près de la ville de Murambi, dans le sud du Rwanda et établi dans l’ancienne école technique de la ville.

Les photographies sont de l’auteur

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