16 juin 2020 – Virginie Poitrasson

Chambre d’écho

Nous n’avons rien d’autre que la peur.

Ne jamais gommer son reflet pour effacer ses tressaillements.

Chaque mouvement de respiration en est une articulation,
que ce soit en pleine abondance ou dans l’accélération amoureuse.

Aucun garrot pour l’arrêter.

Elle est une fine tapisserie du besoin,
et surtout un fort montant de sommeil et de croyance.

Nos mains arpentent les enfers.

Pourtant même les ectoplasmes ont des limites.

 

*

 

Nous voilà attachés aux rives, scrutant le ciel.

Tout a-t-il vraiment déjà un nom ?

La peur d’être en train de rêver, la peur de porter un monstre, la peur des extrémités, la peur que tu ne sois pas à la maison, la peur de ne pas pouvoir prendre une tasse, la peur des palpitations, la peur que ma vue ne se change pas en mots, la peur des polémiques ?

Peut-être que si ces peurs livraient leurs noms, nous flotterions au-dessus de la nécessité,
nous filerions.

Sans voir de dégât majeur.
Sans aucune menace sur le Mount Rushmore.
Ou d’évidence de propagation.

Nous ne cherchons, au final, qu’à pailleter,
à donner l’essentiel au strass.

 

*

 

À quelle distance se situe notre peur ?

La peur a pour mesure la distance entre un événement et sa représentation mentale.

Dans notre calcul, n’oublions surtout pas de tenir compte de l’effet de distorsion.
L’exemple le plus commun étant celui que renferment le jeton acheté et le train fantôme.

Vous l’estimez située à quelques millimètres de votre peau ?
Aussi loin qu’une terre dévastée et brûlée par le vent ?
Ou de l’autre côté de la fenêtre de votre maison d’enfance ?

 

*

 

Les années ont passé.

Il ne s’agit que d’une invitation à rêver,
au-delà des projecteurs du souvenir,
loin des réfugiés, des ouvriers et des esclaves,
vous distinguez de la route la fumée qui sort de la cheminée
de cette petite maison blottie dans le paysage.

Les années évidées.

Spectre de l’âtre.
Vœux cuits à l’étouffée dans la poitrine.

Ne jamais oublier dans l’effroi de respirer selon la règle de trois.

Extrait d’un travail en cours.

Virginie Poitrasson née à Lyon en 1975, est poète, performeuse et traductrice. Elle est l’auteure entre autres d’Une position qui est une position qui en est une autre aux éditions Lanskine et, aux éditions de l’Attente : Le pas-comme-si des choses, Il faut toujours garder en tête une formule magique, Demi-valeurs . Elle traduit régulièrement des poètes américains (Cole Swensen, Mei Mei Berssenbrugge, Marylin Hacker, Charles Bernstein, Jennifer K. Dick, Michelle Noteboom, Shanxing Wang, Rodrigo Toscano, Laura Elrick…).Trois livres ont notamment été publiés : Angle of yaw de Ben Lerner (Joca Seria, 2020), First figure de Michael Palmer, co-traduit avec Éric Suchère (José Corti, 2011), Slowly de Lyn Hejinian (Format Américain, 2006). Elle anime régulièrement des ateliers d’écriture auprès de divers publics.
http://virginiepoitrasson.blogspot.com/